Meet my Mama : le parcours de sa fondatrice Donia Souad Amamra

L’idée de changer le monde vous est sans doute déjà passée par la tête à un moment ou à un autre. Pour beaucoup, la technologie est un moyen d’y parvenir mais il est parfois difficile d’observer les résultats obtenus. Donia Souad Amamra nous prouve qu’il est possible de réellement changer les choses grâce à la technologie ou sans avoir beaucoup d’argent.

N26
N26 Magazine - Édition française

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Donia Souad Amamra est la co-fondatrice de la start-up française Meet my Mama (meetmymama.com), une jeune entreprise qui offre à des femmes migrantes et réfugiées une formation complète et de grandes chances d’obtenir par la suite un emploi décent.

La start-up affiche deux facettes : « Meet my Mama », la plateforme commerciale qui propose des voyages culinaires aux entreprises, et « Empower my Mama », une organisation à but non lucratif dédiée à la formation professionnelle . L’objectif est d’aider ces femmes à lancer leur carrière dans le monde de la gastronomie ou la gestion de restaurants. L’organisation les accompagne ensuite pour les aider à percer dans ce secteur en tant que chefs cuisinières.

L’objectif est de donner aux “Mamas” les outils nécessaire pour trouver un emploi rémunérateur, la motivation pour atteindre un objectif tout en favorisant la parité économique, que ce soit en tant qu’employées ou en les aidant à se lancer en créant leur propre entreprise. Depuis que Donia a lancé son entreprise sociale en 2015, elle a changé la vie de 30 femmes. À l’heure actuelle, une centaine d’autres “Mamas” potentielles attendent de pouvoir prendre part au projet.

« Nous souhaitons vraiment prouver qu’une Mama peut saisir sa chance et devenir la cheffe de demain, qu’elle peut être un modèle pour la société, quel que soit son pays d’origine. »

Les débuts difficiles se sont transformés en réelle opportunité

Sur le plan créatif, la start-up s’est principalement inspirée du film « The lunchbox », l’histoire d’une femme qui tente de reconquérir son mari en lui cuisinant des petits plats.

Mais la réelle inspiration de Donia pour le concept de Meet my Mama lui vient de son enfance. Fille d’immigrés algériens, elle est née et a grandi dans les quartiers défavorisés de la banlieue parisienne. Dans une ville où l’éducation et les opportunités d’emploi sont souvent dictées par le code postal, elle aurait pu facilement décrocher et rencontrer des difficultés.

« Quand on vient d’un lycée de banlieue, on a moins de chance d’entrer dans les grandes écoles de Paris, parce qu’on n’a pas les mêmes matières ou la même formation (que les autres). C’est triste, mais c’est vrai. C’est la réalité. »

À la place, Donia a profité d’un programme à destination des enfants défavorisés financé par le gouvernement. L’existence même de ce genre de programme témoigne de réels problèmes en France, que le gouvernement a reconnu en introduisant en mai dernier une série de mesures visant à promouvoir l’égalité des chances pour les habitants des banlieues. Parmi ces initiatives, la création de 30 000 nouveaux stages et la mise en place de tests anonymes au sein des grandes entreprises françaises, afin de vérifier qu’elles ne font pas preuve de discrimination à l’encontre des minorités ethniques.

Dans le cadre d’un partenariat avec son lycée, Donia s’est inscrite à l’ESSEC de Paris, l’une des meilleures écoles de commerce en France. Durant trois ans, à raison d’un jour par semaine, elle a suivi avec d’autres élèves « socialement défavorisés » des cours d’orientation, de culture générale et d’anglais. L’école de Donia l’a également aidée à entrer à Sciences Po, une prestigieuse école , où elle a pu développer ses compétences. Mais c’est son voyage aux États-Unis, lors d’une année sabbatique à l’Université du Missouri, qui a servi de catalyseur pour son projet.

À la différence de la France, les États-Unis considèrent généralement le bénévolat comme un véritable atout sur un CV. Comme son emploi du temps universitaire incluait un module obligatoire de bénévolat, elle a décidé de l’effectuer dans un centre d’accueil pour les femmes victimes de violence.

C’est son séjour à la Nouvelle-Orléans qui l’a convaincue de se lancer dans l’entrepreunariat social. Donia fait à cette occasion une rencontre qui la touche particulièrement, celle d’une femme, qui, quoique elle-même dans le besoin, était déterminée à combattre les inégalités sociales. En plus de son travail, elle préparait des repas pour les sans-domicile et tenait un stand de vente de vêtements pour financer son initiative.

« Elle m’a impressionnée, parce qu’elle n’avait rien, mais voulait tout de même aider, faire la différence, et partager. Et je me suis dit qu’en fait, elle avait raison. »

Donia revient des États-Unis en 2013, forte d’une expérience sur le terrain et avec une forte détermination à agir pour le changement social. Alors qu’elle suit des cours de Master en affaires publiques, son objectif diffère de celui de ses camarades.

« Je voulais en savoir plus sur les affaires publiques, mais je ne voulais pas travailler dans la fonction publique gouvernementale. Avec la fonction publique, oui. Dans la fonction publique, non. Et je ne voulais pas non plus travailler dans une organisation. Je voulais gagner de l’argent et être mon propre patron, et en France, quand on est dans le travail social, c’est rare d’avoir cet état d’esprit. »

Grâce à son expérience aux États-Unis, elle s’implique également dans le bénévolat. Elle réalise notamment un reportage sur les migrants pour Radio France International et leur enseigne le français. Elle voyage aussi en Algérie, pays de ses parents et en Égypte, dans le cadre de projets bénévoles.

C’est là qu’elle découvre un nouvel aspect pour son projet Meet my Mama : utiliser la nourriture comme un véhicule d’expression culturelle. Alliée à la tradition d’hospitalité du Moyen-Orient, elle avait trouvé sa formule.

« Quand vous recevez des invités, vous devez leur accorder toute votre attention. La priorité, c’est qu’ils mangent bien, vous-même passez en second plan. »

À l’obtention de son diplôme, Donia a toutes les clés en main pour réussir. Mais ce n’est pas le fruit du hasard. Son projet est le résultat d’un travail acharné, d’une passion pour la justice sociale et du désir de voyager.

Cela l’amène naturellement à créer Mama’s Cooking, précurseur de Meet my Mama, avec une amie étudiante, Loubna Ksibi, immédiatement après avoir obtenu son diplôme en 2015.

« Je suis une fille pleine d’objectifs. J’ai des buts dans ma vie. Et depuis le début, je souhaite aider les gens. »

À l’image de la femme qu’elle avait rencontrée en Nouvelle-Orléans, Donia a pourtant dû financer Mama’s Cooking par ses propres moyens. Elle prend un emploi salarié en tant que consultante junior chez Tenzing, un cabinet de conseil stratégique. Jongler entre ses deux métiers se révèle épuisant.

« J’étais tellement fatiguée… Entre mon travail de consultante et mon entreprise, je n’avais pas le temps de me reposer. Je travaillais tous les week-ends. »

Bien qu’elle soit parvenue à tenir ce rythme pendant près de deux ans, la fin 2016 marque pour elle un changement radical. Donia avait jusque là tracé son propre chemin, mais c’est le hasard d’une rencontre qui a finalement pavé et cimenté sa route. À l’époque, Mamas Cooking engage des femmes réfugiées pour faire du catering, c’est à dire organiser les repas pour des événements.

« Nous voulions faire comme Deliveroo, mais avec la nourriture des Mamas. »

Donia souhaite continuer de développer son projet, quand elle a la surprise de recevoir un e-mail d’un certain Youssef Oudahman. Il lui explique qu’il a quitté son emploi en 2015 pour lancer un projet appelé Mama’s Kitchen. Leurs deux entreprises ont beaucoup en commun, Donia et Loubna s’accordent alors pour rencontrer Youssef. Ils décident de s’associer, choisissant un nouveau nom pour leur nouvelle entreprise sociale.

« Nous partagions les mêmes principes, les mêmes valeurs, la même mission. Je me suis dit que nous devions essayer d’aller plus loin ensemble. Nous avons donc créé Meet my Mama. »

À trois, ils mettent sur pied leur entreprise sociale sans aucun financement au cours de la première année, organisant plus de 400 événements par eux-mêmes, sans l’aide d’aucune technologie. Simplement en faisant marcher leur réseau, à l’ancienne.

« Nous voulions prouver que le concept fonctionnait, que nous avions des clients et que nous en voulions encore plus. »

Avec leur première Mama, ils prouvent qu’ils peuvent avoir un réel impact

Dès la toute première Mama à qui ils tendent la main, Donia réalise que son concept a le pouvoir de changer des vies.

D’origine sri-lankaise, Nitharshini vivait isolée, en banlieue, clairement hors de ses repères sociaux et perdue dans sa recherche de travail. Donia et son équipe l’embauchent pour s’occuper de la restauration lors d’une fête où 30 personnes sont conviées. Sa fille, également présente à cette occasion, l’observe. Nitharshini a transformé la fête en une véritable réussite gastronomique, sous les applaudissements enthousiastes des invités. Avec l’aide de Meet my Mama, cette femme a également décidé de renouer des liens avec sa famille au Sri Lanka, qu’elle hésitait auparavant à contacter, en raison de sa situation précaire.

Le concept Meet my Mama a aussi changé la vie d’une Algérienne de 45 ans qui avait fui un mari violent avec ses quatre enfants, perdu son emploi et accumulé d’énormes dettes. Moins d’un an après avoir rejoint Meet my Mama, elle avait réussie à les rembourser. Elle est désormais une entrepreneure accomplie, dirigeant son propre service de traiteur.

Un succès qui fait tourner les têtes. Et qui ouvre le portefeuille des investisseurs.

Ces succès attirent de nouveaux financements pour Meet my Mama. Ces sommes permettent ainsi à Donia de quitter son emploi de consultante en décembre 2017 et de se consacrer à temps plein à son entreprise et aux opportunités qui se présentent à elle.

Autre moment de consécration, les Mamas sont nommées ambassadrices officielles d’une nouvelle gamme de yaourts inspirée de recettes authentiques du monde entier.

Danone créé également un espace dédié pour mettre en avant les talents de Meet my Mama à Paris. Deux fois par semaine, avec une Mama différente à la barre, les femmes organisent un dîner et un brunch, mettant en vedette différentes cultures du monde entier. Ces événements, durant lesquels les Mamas peuvent parler de leurs parcours et de leurs cultures, connaissent un tel succès que le président de Danone décide de prolonger le bail et confie entièrement le projet à Donia et à son équipe.

« Nous avons donc désormais nos propres locaux au cœur de Paris. C’est chez nous, c’est chez Mama. »

Donia et ses associés revendiquent leur statut d’ingénieurs modernes du changement social. Ils sont désormais reconnus et avec le soutien financier de grandes entreprises telles que Carrefour et Accenture, Meet my Mama peut désormais élargir son portefeuille.

Dans un pays où 90 % des chefs cuisiniers sont des hommes, toutes les initiatives de Meet my Mama sont les bienvenues. La start-up change également le dialogue, crée le respect envers ses employés, et s’attaque à des questions importantes comme la reconnaissance professionnelle des Mamas, pour que leurs années d’expérience en cuisine soient reconnues au même titre que certains diplômes.

Pour Donia, ce changement de l’ordre établi est tout aussi important sinon plus, que le perfectionnement individuel. Il permet de contester les lois discriminatoires et de créer des opportunités pour les personnes marginalisées. Il se pourrait bien que le concept de Meet my Mama arrive prochainement près de chez vous.

« Pour l’instant, nous sommes basés à Paris, mais nous voulons nous développer partout à l’étranger. Parce que même à Berlin, Londres ou New York, vous trouverez des Mamas et des clients pour goûter à leur cuisine. Il est donc objectivement possible de se déployer n’importe où. »

Quand Donia Souad Amamra dit qu’elle veut changer le monde, vous feriez mieux de la croire.

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